ENTRETIEN. Sékou Falil Doumbouya est expert en négociations commerciales. Il balaie pour Financial Guinea tous les sujets liés au commerce extérieur de la Guinée.
Sékou Falil Doumbouya est directeur de Grades-Consulting, membre du comité de politique monétaire de la Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG) et ancien premier conseiller économique et financier du Président de la République.
1) Bonjour Monsieur Doumbouya, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Merci M. Bah. Je dirige un cabinet d’études et de conseils, GRADES-CONSULTING, enregistré au registre du commerce et de crédit de la Guinée depuis mai 2013. Il n’est pas très bien connu car j’interviens beaucoup plus dans mes activités à but lucratif, comme Professionnel Indépendant sur des projets de développement en Afrique et qui sont orientés sur les négociations internationales, le commerce et le développement. Je suis membre de quelques conseils à but non lucratif, comme E15-Services, le Comité de politique monétaire de la banque centrale de Guinée, le conseil scientifique de lutte contre Covid-19.
2) Comment se porte le commerce extérieur guinéen ?
Le commerce extérieur guinéen est structurellement déficitaire, si l’on regroupe les biens et les services. Pour donner un ordre de grandeur, les exportations de biens et services étaient de 35% du PIB en 2019 contre 45% pour les importations. Ceci n’est pas un problème tant qu’on n’a pas de problèmes de financement de déficit extérieur. Malheureusement, nous en avions souvent. Et l’un des symptômes de cela est que l’ajustement se fait par la dépréciation du franc guinéen que l’on observe sur une longue période.
3) Le commerce extérieur guinéen enregistre un excédent commercial depuis 2017. Quels sont les facteurs explicatifs de cette amélioration ?
Il faut apporter plus de précisions à ce niveau. Les sources des publications qui indiquent un excédent commercial depuis 2017 se réfèrent uniquement au commerce des marchandises et n’incluent pas le commerce transfrontière des services. Effectivement, la balance commerciale, hors services, est souvent excédentaire en Guinée. Cela s’explique essentiellement par les activités extractives du secteur minier (bauxite, or, diamant, fer,…) du pays et dont la production est presque entièrement exportée et peu consommée en Guinée. En revanche, la balance commerciale manufacturière et la balance commerciale des services sont structurellement déficitaires en Guinée.
4) Quels sont les pays avec lesquels la Guinée enregistre un solde commercial positif ?
Cette question est difficile à chiffrer actuellement en Guinée sur le plan économique car la production commercialisée se fait aujourd’hui rarement dans un seul pays. Un produit moderne est fabriqué en utilisant des intrants locaux et des intrants importés provenant de plusieurs pays du monde. Même pour extraire notre bauxite, on utilise du carburant et des tracteurs qui ne sont pas produits en Guinée. Si un tel produit est exporté, on peut dire sur le plan comptable que toute la valeur brute ou apparente du produit exporté revient au pays qui a rassemblé les différents intrants pour le produire. Sur le plan économique, le bon raisonnement serait plutôt de dire que les pays dont les intrants sont utilisés pour fabriquer ce produit ont aussi contribué à l’exportation de ce produit. Les économistes utilisent aujourd’hui les tableaux internationaux entrées-sorties pour mesurer ce type de commerce, c’est-à-dire le commerce en valeur ajoutée, en attribuant à chaque pays du monde ce qui lui revient dans l’exportation d’un produit. Malheureusement, la Guinée, comme beaucoup de pays africains, n’ont pas encore la capacité de produire des données sur le commerce en valeur ajoutée.
5) Quelle est votre appréciation de la politique commerciale guinéenne ?
Je pense qu’il faut moduler l’appréciation selon le sujet de politique commerciale. S’agissant des droits de douane à l’importation par exemple, nous avons concédé à la CEDEAO la fixation de leur niveau : un libre échange pour les produits d’origine CEDEAO, un libre-échange progressif étalé sur 12 ans pour les produits d’origine africaine, et un tarif extérieur commun pour tous les membres de la CEDEAO pour les produits provenant du reste du monde. La politique commerciale dans les services souffre encore des problèmes de méconnaissance ou de transparence des diverses barrières commerciales inscrites dans les lois et réglementations des divers secteurs de services. Il y a des progrès dans le domaine de la facilitation des échanges avec la mise en place du guichet unique du commerce extérieur et de l’automatisation de certaines procédures. Dans le domaine de la concurrence, il y a un besoin de renforcement des capacités et de communication. Par exemple, les monopoles et oligopoles sont mal vus par l’opinion publique, alors que tel n’est pas le problème du point de vue de la concurrence. Le problème qu’il faut plutôt attaquer est l’abus de position dominante. Il y a également un besoin de renforcement des capacités des PME sur les problématiques de la propriété intellectuelle liées au commerce.
6) Le gouvernent américain a décidé d’exclure la Guinée de la liste des pays bénéficiaires de l’AGOA à partir du 1er janvier 2022. Quels effets peut-on attendre de cette exclusion ?
En théorie, il faut s’attendre à une augmentation du coût du commerce pour les Guinéens qui exportent vers les Etats-Unis et qui bénéficiaient des préférences commerciales offertes par l’AGOA.
7) Quelles mesures le gouvernement guinéen pourrait prendre pour aider davantage les entreprises qui veulent exporter ?
Il faut des mesures qui vont au-delà du commerce. Le déficit commercial en soi n’est pas une inquiétude. C’est plutôt un symptôme. L’une des causes fondamentales est le manque ou la faiblesse de l’industrie de transformation en Guinée. Le PIB du secteur manufacturier est inférieur à 12% du PIB. C’est trop petit car l’industrie de fabrication est un secteur où la productivité est élevée et qui a un effet d’entraînement important. Dix millions de dollars investis dans l’industrie de fabrication peuvent créer jusqu’à 6 ou 7 millions de valeur ajoutée dans les services, comme la comptabilité, les services juridiques, la recherche-développement, le transport, etc… Ainsi, la promotion de quelques chaînes de valeur industrielle est un pôle de croissance qu’il ne faut pas négliger pour l’exportation. L’aide qu’il faut à ce niveau devrait inclure la promotion de l’entreprenariat 4.0, y compris la mise en place des centres d’incubation et des centres de transfert de technologie, des infrastructures nécessaires pour l’approvisionnement des intrants et pour l’évacuation des produits transformés, le financement des infrastructures requises.
Propos recueillis par
Ousmane Bah